LETTRE OUVERTE à M. Christophe BOUILLON, Président de l’Andra par la Coordination BURESTOP
22 janvier 2016
Dans l’article de l’Est Républicain « Associer les citoyens au débat » (20/01/2016)*, vous exprimez, en tant que nouveau président de l’Andra, votre vision du projet Cigeo/BURE.
Nous souhaitons vous faire part de quelques remarques et conseils. Habitants acculés à leur insu au projet d’une poubelle atomique, ou acteurs de terrain d’une opposition qui dure depuis plus de 20 ans, nous avons le recul nécessaire pour cela.
Vous souhaitez « débattre sereinement » du projet Cigéo, mais… vous arrivez un peu tard.
Le processus qui a imposé le « laboratoire », puis le projet Cigéo/Bure, n’est qu’une succession de décisions prises sans aucune concertation avec les populations. Autrement dit, « le mal est fait »… et irréversible.
Vous arrivez trop tard, quand la « société » locale s’est vu imposer des décisions lourdes pour son territoire, un mépris constant quant à son opposition argumentée, les forces de l’ordre comme interlocuteur ou encore un chantage financier corrupteur aux effets dévastateurs. Seuls vous suivront quelques entrepreneurs locaux, à qui l’on a fait croire que Cigéo est une opportunité, en créant au passage une fracture entre les détracteurs d’intérêts à court terme et ceux qui ne veulent pas être les artisans de la condamnation définitive de leur territoire de vie. Les tours de magie opérés par vos services de communication, vendant une chance à saisir, ou un « gâteau à se partager » attestent bien de la totale déconnexion entre décideurs… et citoyens forcés de subir.
Si Cigéo est autorisé prochainement, les habitants subiraient jour et nuit et pendant plus d’un siècle les nuisances d’un chantier gigantesque, les risques des transports atomiques hebdomadaires, les effets irréversibles d’accidents souterrains majeurs possibles, les aléas d’un projet industriel aux multiples inconnues, la contamination radioactive de leur environnement.
Ces habitants ne seront plus jamais sereins. Ils sont conscients de la prévisible dévaluation de leur patrimoine, de la confiscation de leurs repères et redoutent les effets d’un impact socio-économique négatif. Des paysans sont déjà partis. La désertification serait inéluctable. Cigéo engagerait la mutation profonde de leur destinée.
Vous faites de la réversibilité « un vrai plus » et vous ne comprenez pas notre scepticisme à ce sujet.
Permettez-nous de douter de votre connaissance du sujet, alors que plus personne ne croit à cette supercherie.
Vous découvrez que « la société a en effet changé. Les citoyens veulent être associés aux décisions. La question de l’acceptabilité sociale est devenue centrale dans notre société. »
Votre découverte est d’une telle naïveté, méprisante et dangereuse. Concernant d’autres grands projets à venir, nous souhaitons que la classe politique et dirigeante de notre pays intègre enfin « la société » aux processus décisionnels. Mais votre mission, soit : engager une « démarche partagée élargissant le dialogue avec les citoyens et les territoires » ou devenir « l’interface de promotion d’un débat serein et apaisé » est impossible ici à Bure. Nous avons vu suffisamment de sociologues explorateurs, testé les débats publics truqués. Nous saurons recevoir comme il se doit « les sages » que vous souhaitez réunir « pour guider votre action ».
Vous faites de Cigéo une « solution sûre et pérenne » ?
Soyons sérieux. L’Andra est-elle là pour résoudre le problème de façon « responsable » pour nous et nos descendants ? Nous savons juste qu’elle a eu carte blanche pour annexer 3000 hectares de bonnes terres agricoles et de forêts pour y stocker puis enfouir ces millions de tonnes de déchets nucléaires à hauts risques, tache de plus en plus voyante sur la crédibilité de la filière nucléaire…
A BURE se joue l’avenir d’une industrie toute-puissante, assorti d’intérêts financiers massifs. Elle a besoin d’escamoter « l’impasse » déchets radioactifs. Les scientifiques de l’Andra travaillent-ils pour le bien de l’humanité alors même que leurs travaux sont connectés à des enjeux économiques et financiers colossaux ? Cigéo/Bure en est la parfaite démonstration : enfouir à tout prix, dès 2020, même si de nombreux risques, prévisibles et sans solutions, sont parfaitement connus, par vous comme par nous. Et vous taillerez le projet Cigéo pour 25 milliards, à la louche, pour contenter les équilibres financiers des opérateurs en pleine déroute, même si à votre avis il en faudrait bien le double.
Si vous voulez jouer le rôle « d’interface », écoutez-nous, avant qu’il ne soit vraiment trop tard.
Ne lancez pas l’Andra dans une soi-disant phase pilote illégitime, qui va engloutir les maigres provisions actuelles affectées à la gestion à long terme des déchets nucléaires que vous voudriez enfouir. Cessez de vous entendre avec EDF et AREVA pour marchander un coût pour Cigéo, coût déjà mis en doute par l’Autorité de Sûreté nucléaire. Ne vous faites pas complice de la supercherie de l’électricité à + 1 ou 2% de la facture, alors que nul au monde ne sait ce que coûteront à nos petits-enfants les effets de la dette immense que nous leur léguons.
Ne perdez pas de temps en créant « un comité éthique et société », c’est trop tard. Allez faire entendre, en haut lieu, les raisons de notre opposition inchangée, totale et parfaitement étayée, quant au stockage profond souterrain. Faites stopper les travaux à Bure. Faites valoir le bon sens de la « société » qui demande, depuis 30 ans, le bilan réel de la filière électronucléaire ET l’arrêt de la production de ces déchets ingérables. Et enfin, cessez de mépriser l’intelligence citoyenne collective qui, au final, a sur vous des années d’avance en matière de futurs possibles.
Pour finir, nous avons constaté que vous serez auditionné à l’Assemblée Nationale le 3 février 2016 prochain, sur le principe de réversibilité du stockage des déchets nucléaires, par la commission Développement Durable, commission dont vous êtes, en tant que député, le vice-président. Nous dénonçons ici un conflit d’intérêt criant et scandaleux, allant à l’encontre, faut-il le souligner, de vos récentes et belles intentions.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur, nos salutations citoyennes
*Voir les articles sur : http://burestop.free.fr/